
Encore très reconnaissant de la chance qu’il a eu de jouer Denis Lemieux, le fameux gardien de but des Chiefs de Charlestown dans le film culte Slap Shot, alors que l’œuvre a su résister à l’épreuve du temps. Vivant à Saint-Léandre depuis près de 47 ans, Yvon Barrette a conservé plusieurs liens avec ses fans et le monde du hockey.
Et pour démontrer cela, Yvon Barrette décide de raconter la fois où il avait été invité à Toronto pour signer des autographes une journée de 2001. Il avait alors pris l’avion à Mont-Joli, lorsque cette option de transport était encore disponible à l’époque, ce qu’il faisait plutôt fréquemment.
Avant de signer des autographes, il devait se rendre à une entrevue à une radio locale sportive. Moins de 10 minutes après son arrivée que l’animateur lui a déjà demandé subtilement de lui sortir une des répliques du film, encore iconique à ce jour (voir : « trade me right f***ing now »).
« J’ai bien vu que le personnage était connu. Le monde trippait dessus depuis 1977, mais il y a eu un regain depuis le début des années 2000 », a relaté Yvon Barrette. Après son entrevue, il a pu assister à une partie de hockey de la ligue nationale. À sa sortie, un des joueurs de l’équipe américaine de hockey aux Olympiques s’est avancé vers lui pour le prendre dans ses bras. En effet, son personnage de Denis Lemieux aurait inspiré sa carrière au hockey.
Yvon Barrette a été absolument foudroyé, mais selon ses dires, son personnage aurait marqué plusieurs joueurs de hockey ou, généralement, plusieurs athlètes. Slap Shot serait un des films les mieux aimés des sportifs à travers le monde. Tant et si bien que la folie a commencé à Toronto, mais s’est ensuite poursuivie avec des expositions de collection et d’autographe.
Pourquoi est-ce que tout le monde aime autant Denis Lemieux? D’après Yvon Barrette, le personnage n’était heureusement pas l’interprétation d’un joueur professionnel déjà connu, tel Maurice Richard. Denis Lemieux était donc unique. « C’est à cause de ma façon de créer et d’interpréter ce personnage, il était attachant et a rejoint beaucoup de monde », a-t-il dit.
Les fans du film se souviennent premièrement de Denis Lemieux. « C’est moi qui ouvre le film. Ça commence, il n’y a même pas de générique, c’est moi dans une entrevue télévisée qui explique “les finer points of hockey” et je dis des conneries », a lancé M. Barrette. « Il parle mal anglais, alors ça fait rire », en nommant en exemple la scène avec Paul Newman au bar. « On a été obligés de reprendre la scène 25 fois parce que Newman riait trop », a-t-il rigolé.
L’idée du concept est venue entre autres de la scénariste Nancy Dowd. Son frère Ned, joueur de hockey pour les Jets de Johnstown en Pennsylvanie, l’a contactée afin qu’elle vienne voir d’elle-même les développements de l’équipe. Ayant une carrière prometteuse, Ned a finalement reçu un coup dans le dos qui l’a empêché de continuer à jouer, tellement le sport était violent.
Nancy Dowd a donc placé des micros dans la chambre des joueurs pour bien cerner la dynamique de l’équipe. Elle s’est rapprochée du club sportif, au point où le film est finalement devenu un réel documentaire, tous les détails respectant la réalité. « C’est pourquoi, je crois, que le film a rejoint autant les gens », croit Barrette. « C’est la grande qualité du film. »
Il amène un bon point, selon lequel l’histoire est axée sur une équipe, et non sur un seul joueur. « Les films de hockey ne décrivent jamais l’histoire d’une équipe de bons à rien qui doivent se serrer les coudes pour gagner la coupe », a-t-il dit. Étant une comédie, elle n’est pas nécessairement vue ainsi, car la violence est proéminente. « Mais ce n’est pas ça, ce film est beaucoup de choses. Un film féministe même, les femmes de joueurs sont très présentes. »
Un père exigeant
Né en septembre 1946 à Alma au Saguenay-Lac-Saint-Jean, Yvon Barrette est né au sein d’une très large famille. « À Noël, juste avec les cousins, on devait être au moins 70 personnes », a-t-il affirmé. Son père était entrepreneur électricien, travaillant avec son propre père qui lui avait originellement lancé l’entreprise, appelée « Barrette et fils ». Sa mère, elle, était fleuriste et détenait une âme d’artiste. Elle a aussi traîné un problème d’alcool pendant plusieurs années.
Son père espérait fortement que Yvon reprenne les rênes de son entreprise, mais ce dernier a toujours eu une forte aversion pour l’électricité depuis sa tendre jeunesse. Un diplômé de l’École nationale de théâtre, André Saint-Denis, est venu donner des cours de théâtre amateur à Alma, et M. Saint-Denis a rapidement vu son potentiel et l’a poussé à appliquer à l’École nationale.
Yvon Barrette est donc parti sur le pouce d’Alma jusqu’à Québec un beau jour de 1968, accompagné d’un ami. Après une audition stressante et forte en émotions, il a été choisi sur plus de 500 candidats. Mais cela ne faisait pas l’affaire de son père, qui n’y voyait que l’insécurité financière. Mais Yvon savait que ce n’était pas une coïncidence : il n’avait pas le choix d’accepter une telle offre.
Yvon Barrette sur les genoux de son père, entouré de son grand-père et son arrière-grand-père. Crédit photo : Arsenal Media Photo de mariage des parents d’Yvon Barrette. Crédit photo : Arsenal Media Yvon dédicaçant une photo en couleur d’une de ses scènes iconiques de Slap Shot. Crédit photo : Arsenal Media La fameuse photo en noir et blanc! Crédit photo : Arsenal Media
La première fois qu’il a visité le Bas-Saint-Laurent fut lors d’une présentation de pièce de théâtre à Rimouski, nommée « Pas de TV ». Rapidement et pour la première fois, il est tombé amoureux de la région. Il n’a toutefois pas été surpris, car sa mère était originaire de Saint-Irénée dans Charlevoix, « donc j’avais ça dans le sang ».
La deuxième fois, ce fut dans un contexte de vacances estivales. Habitant à Montréal, lui et deux amis sculpteurs, Serge Otis et Robert Émard, fréquentaient le même bar, la Taverne Cherrier, sur le boulevard Saint-Denis. « Serge nous a proposé, “cet été on devrait partir les trois et louer un chalet en Gaspésie pour l’été », a-t-il expliqué. Et c’est ce qu’ils ont fait.
La troupe a décidé de visiter Saint-Léandre, parce que le neveu de Serge Otis y était propriétaire d’une maison au village. Tout d’abord, ils ont commencé leur séjour en passant la soirée au bar Le Vieux Loup de Matane pour ensuite se rendre à la demeure. Arrivant sur place, Yvon est monté sur une butte tout près de la maison, et c’est là qu’il y reçoit un « message céleste » – explique-il en se bidonnant – de rester à Saint-Léandre. Bref, il a eu le coup de foudre pour l’emplacement.
En deux temps trois mouvements, il achète sa première petite maisonnée à Saint-Léandre pour le coût modeste de 900 $. Et aujourd’hui, cela fait 47 ans qu’il réside au sein de la municipalité, depuis 1973, et il n’a jamais regardé en arrière. Et même s’il continuait à jouer dans des productions télévisées ou cinématographiques, il faisait toujours le transport aller-retour de Saint-Léandre.
Pendant les années 1970, ce fut l’époque du retour à la terre. « C’était l’amour libre. Nous étions bien accueillis par les gens du village, mais ostracisés par certains. » Quelques années plus tard, il a eu l’opportunité de racheter la propriété du neveu de Serge Otis, d’une superficie d’un lot de terre, où il y reste encore. Il loue la partie cultivable aux agriculteurs voisins, et le tiers de la parcelle de terre est boisé.

M. Barrette s’est ouvert sur le problème d’alcool sévère qu’il a trimballé jusqu’en 1984 environ. Tout a commencé lorsque la mère d’Yvon est décédée des complications de son alcoolisme. À 16 ans seulement, il commence à boire pour mieux comprendre l’attrait de la boisson. Son problème se développe avec les années, l’alcool comblant un besoin.
Quelques années après Slap Shot, quelqu’un lui a fait réaliser que la raison pour laquelle il possède une addiction à l’alcool est que son foie ne filtre plus l’alcool. Il va directement au cerveau. « Tu arrêtes alors de penser que t’es con. Quand tu fais cette réalisation-là, tu comprends qu’en arrêtant de boire, tu coupes le problème. Et automatiquement, c’est réglé », a-t-il analysé. Il est désormais sobre depuis plus de 35 ans.
Pendant la poursuite de sa carrière de comédien, Yvon Barrette a longuement travaillé dans les théâtres d’été. Il a joué deux différentes pièces à Amqui avec Jean Cossette, ainsi qu’une autre à Trois-Pistoles. Également, pendant plus de 15 ans, Yvon a été responsable d’une troupe de théâtre de Saint-Léandre, leur permettant d’écrire des textes et de créer. Pour jouer, ils ont même dû transformer le sous-sol de l’église du village en théâtre.
Le théâtre le plus intéressant qu’il n’a jamais fait était en région bas-laurentienne. Par exemple, il a participé à une pièce écrite par Gilles Rémond pour les Opérations Dignité prévue de jouer 30 fois au Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie. Ils ont été emmenés à la présenter dans les petites municipalités pour encourager les gens à investir dans leur municipalité et créer de l’emploi. Finalement, la pièce a été victime de son succès, et ils l’ont joué 175 fois.
Bien plus qu’un comédien
Outre son jeu d’acteur et le théâtre, Yvon Barrette est également copropriétaire d’une entreprise travaillant le moulin à scie, la Scierie L’Ancèdre de Saint-Léandre. Il y travaille aux côtés de René Tremblay depuis 1994. Leur saison haute est estivale. « Je commence tôt. Déplacer quotidiennement quelques tonnes de bois à 74 ans, mon travail me tient en forme », a-t-il dit.
La fille de René Tremblay, Camille Therrien-Tremblay, propriétaire de CAMM Construction d’Abris et de Micro-Maisons, s’est associée à la compagnie. Ils sont présentement en train d’agrandir le moulin et de bâtir un atelier pour permettre la construction des mini-maisons à l’intérieur.
Le moulin a permis à des citoyens de travailler à Saint-Léandre, et ils ont eu jusqu’à 15 employés. L’opération est même devenue une coopérative à un moment donné. « Aux premières crises du bois-d’œuvre, ça a tout foiré, mais on a réussi à soutenir l’entreprise et régler les problèmes financiers », a-t-il ajouté. L’arrivée de Camille a donné une nouvelle vie à leur moulin.
Avec la pandémie, l’année fut tranquille pour Yvon Barrette comme il ne pouvait voyager. Il passe beaucoup de temps avec sa douce moitié, Nicole Lacroix. Son fils unique, Blaise Barrette, qui soufflera prochainement ses 50 bougies, habite également à Saint-Léandre. Son fils a élevé ses deux enfants au village aussi, un des deux étant l’influenceuse Lysandre Nadeau, qui se retrouve donc à être la petite-fille de Yvon.
Et au travers, il prend le temps de parler aux fans de Slap Shot, qui sont toujours aussi nombreux qu’il y a trente ans. « Contrairement aux joueurs professionnels, si je suis invité à un salon de hockey ou peu importe, je ne reste pas pendant 2-3 heures, mais toute la journée », a-t-il pointé. Il dit prendre le temps de revenir sur le film et de parler de tout et de rien avec eux.
« Ce n’est pas mon rôle d’acteur qui a pris la place. C’est la possibilité que j’ai trouvée à travers de communiquer avec des gens », a-t-il conclu. Yvon Barrette privilégie l’expérience humaine qui s’est dégagée de son rôle au cinéma en tant que Denis Lemieux, gardien de but des Chiefs. Et il demeure très reconnaissant d’avoir pu participer à ce projet, qui a certainement changé sa vie.